L'environnement une priorité en pédagogie Freinet

1970-1990, avec un avant et un après. (document interactif)

Un simple rappel historique.

   1870 la France perd la guerre. Pour l'armée les coupables sont tout désignés, ce sont les instituteurs. Pétain reprendra la rengaine après la défaite en 1940. Les appelés ne savaient pas lire les consignes et n'avaient pas la forme physique nécessaire pour affronter l'ennemi. Il faut donc renforcer l'apprentissage de la lecture, celle des cartes comprise. Il faut faire sortir les garçons pour qu'ils se vivifient au plein air et soient virils. Dans les rapports d'inspection de l'arrière pays niçois entre 1900 et 1914 (pour ceux étudiés) il est préconisé de sortir, d'abord à cause des miasmes des classes insalubres. Mais si pour certains instituteurs ces sorties sont perte de temps par rapport à leur conception des programmes, d'autres les valorisent en en faisant des sources d'apprentissage, ce qui était, ne l'oublions pas, dans les préconisations de Jules Ferry dès 1880 sous le nom de « promenades scolaires ».

   C'est dans ce contexte que se développeront en France l’Éducation populaire, l’Éducation Nouvelle, le scoutisme, et à peine plus tard l'Hébertisme, même si certains mouvements peuvent se trouver des racines antérieures.

   Freinet avait-il lu Édmond Blanguernon (Pour l'école vivante édition de 1918 d'une premiére édition en 1909), inventeur du concept de « classes-promenades »1. Le vocabulaire qu'il utilise pourrait nous le laisser penser même si nous n'avons pas retrouvé son livre dans la bibliothèque familiale déposée aux archives départementales des AM, ni dans le fonds racheté Madeleine Bens-Freinet par la Médiathèque de Vence. « Oui, j'ai souri, mais de toute ma sympathie, à cette république en miniature, plus vraie que la grande peut-être, où l'enfant, sous les yeux bienveillants du maitre qu'il estime et qu'il aime, débattant, édictant, appliquant les lois de sa communauté scolaire, apprend la responsabilité, la solidarité pour le bien commun, et vit vraiment d'avance la démocratie. » Ou encore citant les instructions officielles : « Le maitre part toujours de ce que les enfants savent... »

Les premières écoles Freinet sont des écoles rurales.

   Nous avons très peu de témoignages concernant le premier poste de Freinet à Daluis, un village de montagne dans lequel il n'était jamais entré auparavant. Il notait, sur des feuilles arrachées de carnets, nombre de remarques d'enfants, signe qu'il les écoutait et s'intéressait à leurs témoignages de petits paysans vivant dans la nature, comme lui enfant. Une « foire aux cancres » anticipant Jean Charles ? On pourrait le penser en première lecture, mais si sont notées ce qu'on pourrait considérer comme des perles, ces réflexions nous ont plutôt paru des textes libres transcrits par le maitre avec amour, non sans humour. Les enfants parlent spontanément, avec leurs mots à eux, de leur vécu, de leur désintérêt pour la lecture qui ne leur servira à rien, de leur avenir à la ferme. Il va vérifier leurs témoignages auprès d'adultes du village. Ces élèves font-ils des classes promenade ? C'est peu probable, mais nous ne saurions l'affirmer. Cependnant il est incontestable que l'extérieur entre dans la classe. Et depuis le nid d'aigle où est situé l'école, comment imaginer qu'ils ne commentent pas le spectacle de la vallée du Var offert à leurs yeux depuis la cour de récréation. Sortir sans se déplacer ! Écouter les enfants. Commenter la transhumance des brebis, le passage des Bohémiens, du livreur de charbon, la construction de la ligne de chemin de fer « la plus accidentée de France » (film Dans les pas de Freinet à Daluis).

La classe promenade.

   Très vite Freinet la dit mal nommée, sans doute prévoyait-il certaines dérives que nous voyons encore aujourd'hui, de la part de personnes se réclapment poourtant de lui. Lâcher les enfants sans projet dans un parc, une forêt, un quartier permet de rassembler des images, des objets, des observations qui pourront faire l'objet de discussions et de recherches plus approfondies. Mais très vite on pourra s'interroger, multipliant ces sorties dépourvues de consignes sur les apprentissages qui en découlent. Faire observer ne rend pas nécessairement curieux. Plus grave à notre avis demeure la question de l'intégration de la personne dans son environnement. Il ne suffit pas de nommer comme le fait le singe savant. 

   En réunion la classe s'interroge sur le pain. On pourrait se contenter de chercher et décrire tout ce qjui permet de fabriquer un pain. On peut aussi décider d'en fabriquer un. Trouver du blé. Il va falloior le transformer en farine. On part à la recherche de ce qui peut broyer les grains : les galets de la plage, un marteau, un moulin à café... Une personne possède un moulin. On va essayer toutes ces techniques dans la classe. On va faire la pâte à pain. Enquête chez le boulanger. Il est impressionné et proposer de cuire le pain... Hélas ce projet n'a pas été filmé.

   Moszczanka, en Pologne. Une école qui va de la maternelle à la fin du collège. Il est décidé d'enquêter sur la vie d'autrefois. Recherche de photos anciennes, de traces, de témoins à questionner... On ramène des textes et des dessins. Les personnes âgées montrent des objets de leur enfance et parfois plus anciens encore. Comment s'en servait-on ? Et si vous nous les prêtiez pour qu'on puisse faire un musée dans l'école ? De fil en aiguille, sans se préoccuper des cloisons disciplinaires imposées par les programmes, on en arrivé à écrire une pièce de théâtre. Le groupe théâtre décide de préparer un spectacle avec ces objets et les connaissances acquises. Ce projet a été filmé.

Quand la nécessité fait loi.  

   La seconde étape dans la construction du premier mouvement des "Imprimeurs" (nom donné aux pionniers) repose sur une nécessité. Un réseau de pédagogues répartis sur le territoire national suppose une correspondance entre eux. Pourquoi ne pas mettre en réseau également nos élèves ? La correspondance entre écoles existe depuis au moins le XIIIe siècle. Ce que Freinet apporte c'est de lui trouver une place dans les apprentissages. Correspondre oui, mais comment et pourquoi ? En 1924 la correspondance va permettre de tester l'utilisation de l'imprimerie.

   Pour imprimer il faut des textes. Qui va lire les textes ? Forcément des personnes qui veulent savoir des choses. Que va-t-on écrire dans les textes ? Des choses que le lecteur n'est pas censé savoir. Il va donc être nécessaire d'enquêter, faire entrer l'extérieur dans la classe pour le décrire dans des textes.

   Lorsqu'on place au centre de sa pédagogie la réunion démocratique dans laquelle chacun peut s'exprimer librement, les actions découlent vite de nécessités et non plus de principes pédagogiques. Lorsqu'on installe au milieu de sa classe en 1924 une imprimerie, toute une économie va se mettre en place d'où découleront un grand nombre d'activités qui impliqueront les maitres et maitresses ainsi que leurs élèves en les plaçant tous en réseaux.

   C'est ainsi que se développent la correspondance et le journal scolaire imprimé qui l'accompagne. Suivront les imprimés spécialisés que sont les Gerbes et les BT, et pour les enseignants, auparavant, la revue L'imprimerie à l'école. À partir de là nous ne pouvons plus être confondus avec les Pédagogies Actives ou Nouvelles, chaque membre de ces réseaux gardant sa personnalité.

On est à l'école comme au lycée pour apprendre.

   Dès que l'enseignant Freinet, de la maternelle à l'université, se met à analyser son métier il voit avant tout les obstacles à sa liberté et une multitude de contraintes. Ces dernières peuvent être bousculées, contournées, dépassées, niées. Mais il en est, comme le fait qu'un élève peut changer d'école en cours d'année, ou qu'un autre passera le baccalauréat, qui contraignent à donner un sens à ce qu'on met en place, pour ne pas compromettre l'avenir de nos élèves. Un sens qui est admis et compris par toute la collectivité. Une école sous une autoroute à Nanterre. Une classe de première avec 39 sièges pour 39 élèves dans une salle qui en contient 40 avec l'enseignant, son tableau, son bureau, ses craies et son estrade.

   Se convaincre qu'aucune condition matérielle ne saurait empêcher la mise en place d'une pédagogie Freinet. Aucun confinement ne saurait interdire la connaissance de son environnement. Tout programme imposé gagnera à être transposé. D'emblée il va apparaitre que c'est d'abord l'extérieur qu'il nous faudra alors faire entrer dans la « classe » qu'elle comporte des murs ou pas (je pense aux éducateurs), pour être étudié collectivement en faisant jouer à tous les niveaux la coéducation. La moindre recherche, le moindre travail individuel doit servir aux autres.

   La recherche et le don du savoir ne sont pas réservés à l'enseignant. Ils sont ou deviennent rapidement naturels.

  La découverte du milieu dans lequel vit l'enfant est forcément libre. L'adulte l'invite à observer à côté d'où il porte habituellement son regard, alimente, ou provoque sa curiosité. L'enfant rapporte des objets, des dessins ou des photos, et des informations. Il analyse, confronte, fait des recherches et partage avec les autres. La découverte est libre, comme la création qui en découle. Mais cette liberté a-t-elle un sens pour tous les enfants, tous les apprenants ? Cette liberté peut-elle ne pas s'épuiser au fil du temps ?

   Peut-on trouver un sens à une action qui engage le corps sans qu'une intention ne puisse être perçue immédiatement ou dans la durée ? Le savoir pour le savoir ne motive pas une classe entière. L'enfant de maternelle rapporte une feuille de chêne à la maison. « Oui ! », mais papa, maman ou grande sœur ont déjà vu une feuille de chêne. L'enfant n'est pas dupe, il ne leur apprend rien, il montre qu'il a appris et conforte la fierté familiale d'avoir engendré, au pire, un petit génie. Le dessin de la feuille de chêne est un dessin plus ou moins fidèle d'une feuille de chêne. Par contre ont-ils observé, les mêmes parents, les ferronneries des portes et balcons sur le trajet qui les conduit à leur travail ou leur boutique préférée ? Cette sortie là a été thématique et a conduit à une étude collective dans la classe. Elle est née d'un dessin qui a inspiré la maitresse : "vous n'avez pas déjà vu un tel dessin en venant à l'école ?" On va aller vérifier. Alors chacun a acquis un savoir à partager à partir d'une sortie qui a un moment donné a paru nécessaire. A la sortie de l'école, les parents, les tuteurs, vont découvrir ce qu'ils n'avaient jamais remarqué, la richesse des ferroneries décorant les balcons des immeubles du quartier. C'est galement le sens donné aux jardins scolaires et aux élevages dans l'école.( chenilles en maternelle, ou en classe transplantée)

   Nous sommes passés de la simple découverte à l'étude sans avoir pour autant sacrifié au programme détaillé dans la page 36 du manuel scolaire, prévue pour le mois de décembre de chaque année. C'est ce qui fait que l'étude de l'environnement peut prendre sa place dans toute classe et toute discipline y compris au lycée. Mais l'environnement ce ne sont pas seulement des fleurs, des chenilles et des arbres, ce sont aussi les humains.

  De la question de l'identité.

   La polysémie du mot ne nous empêchera pas de l'utiliser. Il ne s'agit ni de culture - ce mot banni par les anthropologues -, ni de communautarisme, mais bien de l'identité que se choisit chaque individu pour vivre dans un milieu défini, qu'il y soit né, de passage ou souhaite y vivre. Se situer par rapport à un lieu et une collectivité librement choisis.  

   Elle se pose un peu différemment aujourd'hui par rapport à l'époque de Freinet qui ancrait l'enfant dans son terroir (films de Charlotte Audureau, ou Jean Paris à l'Île Verte) quand nous avons affaire à des migrants. Les pionniers de l'École moderne accordaient une importance primordiale aux traditions. Au sortir de la Première guerre les terres sont redistribuées du fait du nombre des morts. Ce n'est pas encore l'exode rural que l'on connaitra après la Seconde, mais la question des racines se pose. Très vite la CEL gravera des disques de folklore. Les enfants de vignerons feront leur enquête pour expliquer le métier aux fils et filles des pêcheurs bretons. Dans des colis on échangera des kakis et des olives contre du camembert en fournissant toutes les explications glanées dans le village et la campagne.

   Dans les régions de migrations une toute autre démarche s'impose. Le multiculturalisme2 a fait des ravages : les enfants et surtout les adolescents et adultes n'ont pas forcément envie qu'on leur rappelle le pays qu'ils ont dû quitter de force et dans lequel ils ne retourneront pas. Les plus traumatisés veulent au contraire se fondre dans la foule, passer inaperçus. Cela commence avec les rapatriés d’Algérie et continue aujourd'hui avec nombre de réfugiés arrivant quasi du monde entier, du moins dans certains quartiers et types de formation (LP et LT). «J'habite ici » pour des enfants de maternelle. Faire que mon quartier soit "mon quartier", en l'observant, en rencontrant des gens qui l'habitent depuis longtemps, en étudiant son histoire par les bâtiments, les noms des rues, les façades des boutiques.

   Mais des enfants, des adultes peuvent aller plus loin, être pleinement acteurs dans leur environnement, participer à sa sauvegarde, à ses aménagements : participation aux conseils municipaux d'enfants, à l'aménagement d'un parc à la mesure de l'utilisation que chacun peut en faire, à imposer des trottoirs sur le chemin de l'école, des terrains de jeux pour les petits, des espaces d'activités collectives pour les plus grands. Pas seulement observateurs éclairés, mais acteurs. C'est un droit.

L'étude de son environnement devrait pouvoir s'inscrire dans un enchainement de nécessités...

   … plutôt que dans un projet spécifique qui s'arrête avec un bilan. Dans mes classes de lycée la sortie n'a jamais été un projet sinon sur les formulaires qui permettaient le financement d'un voyage ou dans le cadre eceptionnel d'un projet impliquant plusieurs enseignants de disciplines différentes. Nous partions d'une nécessité (apparaissant à tous lors d'une réunion convoquée pour définir le programme pour les semaines à venir) à la suite à un évènement surgi dans la classe : un fait de délinquance, un accident de la route ou le Paris-Dakar en LT automobile, un drame présenté à la télévision... Cela débouchait sur l'adaptation à nos programmes de grands thèmes comme la justice, la circulation routière, la faim dans le monde, la paix dans le monde, les pluies acides, le nucléaire, etc. Le projet ?, c'était, par exemple, de faire venir dans la classe des invités de marque pour un « forum » pouvant réunir une quinzaine d'entre eux. D'entrer en correspondance avec un spécialiste des Indiens dans le cadre de la fabrication d'une BD en classe de cinquième (Jean-Louis Rieupeyrout). Joseph Zobel est venu nous parler de La rue case nègres en Seconde ou pour les hispanisants Manuel Vázquez Montalbán, plus gourmand encore que Pepe Carvalho, le héros de ses romans policiers.

Pour cela il va falloir les inviter, les recevoir. Mais pour les accueillir il faut avoir des questions à leur poser et comprendre ce que nous diront le sous-préfet, le responsable de la Commission des lois à l'Assemblée nationale, celui du colonel de la FIMU, rentrant du Liban, celui de la caserne des pompiers de la ville, celui de l’hôpital psychiatrique ou celle du SAMU. Il va falloir aller interroger des avocats, un juge d'instruction, un gardien de prison et même un prisonnier. La substitut du procureur va nous aider à conduire un spectacle d'improvisation simulant un procès d'assise. Il va falloir aussi passer par la bibliothèque et tant pis si Clément Marot, Voltaire, Victor Hugo et Albertine Sarrazin ne sont pas au programme la même année en Français.

   Plus tard, avec des étudiants, à partir de 1991, nous filmerons dans un centre d'accueil des drogués, un foyer d'accueil d'adultes autistes, des usines, des forges, chez des artistes peintres ou sculpteurs. A chaque fois cela suppose une longue préparation pour un petit groupe d'élèves, avec des repérages sur place, le rassemblement d'une documentation. Mais la même démarche est possible également dans une classe d'enfants de maternelle.

   Nous sommes partis de la "classe promenade" (bien mal qualifiée, déplore Freinet en 1943) telle qu'elle est décrite dans les revues de l'ICEM pour l'inscrire dans une chaine d'apprentissages rendant les activités nécessaires comme cela s'est produit lorsqu'a été pour la première fois introduite une imprimerie dans une école, placée au centre de la classe, à la disposition des enfants. On peut sortir, découvrir une grenouille et vouloir la ramener dans la classe pour la mieux connaitre. On peut aussi trouver une grenouille, héroïne dans une histoire racontée dans un album, et vouloir aller l'observer dans son environnement à elle, et comparer ensuite avec celle du livre. La motivation n'est pas la même, la part du maitre non plus qui cette fois n'est plus à l'origine du projet de l'enfant, du lycéen ou de l'étudiant.

* Cette brochure concerne avant tout le premier degré. La réalité du lycée est tout autre avec ses contraintes d'emploi du temps et la nécessité, quasi imposée par les chefs d'établissement, de s'inscrire dans un projet d'établissement.

Concernant le premier degré on lira le journal en cliquant ► 

La génération de 68, dans l'ICEM, est immédiatement sensibilisée à l'écologie politique et devient militante.


 

1) On aura noté cependant que l'inspecteur Blanguernon situe les classes promenade si possible le jeudi, hors temps scolaire, pour éviter les autorisations spéciales.

2) Et puis le couscous préparé à la Nation à Paris n'a rien à voir avec celui qu'on mangeait en famille dans l'oasis d'El Goléa.